À 8 kilomètres en avant de nos camps, je laissai un premier échelon,

composé de la section d'artillerie et du bataillon du 101e commandant Blot.
Les deux pièces furent placées de manière à pouvoir enfiler la route et à battre
en même temps le terrain à droite et à gauche. L'infanterie, embusquée dans
des jardins, offrait à l'artillerie et au reste des troupes un appui solide, s'il
devenait nécessaire de se replier.

Je continuai donc à marcher dans la direction de Pékin, avec les Sikhes, le
peloton d'artillerie et le bataillon de chasseurs à pied.
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
332

À 4 kilomètres environ du premier échelon, mes flanqueurs de droite furent
accueillis par un feu assez vif de mousqueterie.
C'étaient les vedettes tartares qui, au dire du colonel commandant la
reconnaissance anglaise, se repliaient dans la direction d'un camp que l'on
supposait devoir exister à droite de la route vers le Nord de Pékin.
Je fis arrêter le bataillon de chasseurs, après avoir défendu aux canonniers
à cheval de répondre au feu des Tartares. Le commandant de la Poterie prit
position au milieu d'un pâté de maisons, situées à droite et à gauche de la
chaussée, et il p.289 attendit, dans de bonnes conditions de défense, des
nouvelles de la cavalerie anglaise qui s'était portée en avant.
Au bout d'une demi-heure environ, le major qui commandait les deux
escadrons de Sikhes vint me prévenir que ses cavaliers étaient arrêtés près du
faubourg de l'Est et me demander de faire avancer jusque-là un bataillon
d'infanterie.
Le commandant de la Poterie vint prendre dans les premières maisons du
faubourg une position analogue à celle qu'il occupait précédemment en arrière.
Nous touchions donc enfin à cette ville si désirée, dont les murailles et les
portes monumentales se découpaient à l'horizon, à environ 1.200 mètres du
point où nous étions arrêtés.
Le colonel qui dirigeait la reconnaissance anglaise me demanda alors que le
bataillon de chasseurs stationnât sur le point où il était placé jusqu'à ce que les
Sikhes eussent poussé deux reconnaissances, l'une vers le sud de la ville, qui
lui semblait peu importante, l'autre vers le nord, où il pensait pouvoir
constater la présence des camps tartares.
Tout en déférant à sa demande, je lui fis observer qu'il me paraissait non
moins utile de chercher à voir de près l'enceinte même de la ville et je lui
proposai d'entrer dans les faubourgs. Il me refusa net et partit avec sa
cavalerie pour décrire son grand demi-cercle autour du point dont le bataillon
de chasseurs formait le pivot.
Je résolus de mettre à profit le temps assez long nécessaire à cette
opération, et, prenant avec moi le capitaine d'artillerie de Coatpont et 10
artilleurs, j'entrai dans le faubourg.
Nous traversâmes une rue large, bordée de maisons en bois, à façades
richement sculptées ; deux arcs de triomphe monumentaux s'élevaient à peu
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
333
de distance l'un de l'autre, environ vers le milieu du faubourg ; toutes les
maisons étaient fermées et la population, en apparence indifférente, mais très
nombreuse, était tenue avec peine à distance. Nous marchâmes ainsi jusqu'à
environ cent mètres de la porte.
Cette porte, dont la hauteur dépasse environ de moitié celle du mur
d'enceinte que j'évalue de 12 à 13 mètres, présente à sa partie supérieure
quatre rangées horizontales de douze embrasures, chacune ayant la forme des
sabords d'un bâtiment.
Les pièces, s'il y en a, ne sont pas apparentes et aucun défenseur ne se
montrait, ni dans cette espèce de caserne fortifiée, ni sur les murailles.
L'accroissement de la population et la présence de quelques cavaliers
tartares sur nos derrières, dans la rue adjacente à la chaussée, me forcèrent à
rétrograder.
Je sortis du faubourg, lentement, en bon ordre, sans avoir été inquiété ; la
reconnaissance des Sikhes rentrait en ce p.290 moment, sans avoir rien vu,
dans la pointe qu'elle avait poussée vers le sud, et se préparait à reconnaître
dans la direction du nord, mais le mouvement se faisait, chaque fois, en
dehors du faubourg.
Je résolus donc de faire une seconde tentative pour approcher aussi près
que possible du rempart.
Je me dirigeai avec MM. les capitaines Fœrster, Guerrier et 4 cavaliers sur
un point situé entre les portes de l'Est et du Sud. En cet endroit le faubourg,
beaucoup moins étendu, se compose de maisons abandonnées et de grands
bâtiments au milieu desquels on peut circuler facilement.
Au bout de 7 ou 800 mètres environ, nous vîmes la muraille à découvert,
mais, contrairement à ce qui avait eu lieu à la porte de l'Est, les créneaux se
garnirent de défenseurs armés de fusils de rempart ; sur une espèce de tour
carrée à notre gauche nous voyions deux pièces de canon. La muraille, en bon
état, paraissait avoir la même hauteur que celle de la porte de l'Est, et des
constructions en ruines en cachaient le pied.
Nous nous avançâmes jusqu'à 40 mètres sans que l'ennemi ouvrît son feu ;
cette longanimité de sa part était due à la répétition de la manœuvre qui
m'avait forcé de quitter le faubourg, et nous dûmes nous replier assez vite
devant le mouvement d'une quarantaine de cavaliers tartares qui essayaient
de nous couper le chemin.
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
334
Je revins au bataillon de chasseurs et la reconnaissance des Sikhes vers le
Nord n'ayant trouvé qu'un parti de 200 cavaliers qui prirent la fuite, là où l'on
pensait trouver un camp considérable, nous rejoignîmes nos bivouacs.
En résumé, il résulte de la reconnaissance du 26 que la route est libre
jusqu'à Pékin, que les camps tartares, s'ils existent, sont derrière la ville ou
assez éloignés vers le Nord ; qu'aucun soldat n'occupe le faubourg de l'Est,
dans lequel on ne voit aucun préparatif de défense et que, si l'on ne veut pas
suivre jusqu'au bout la voie dallée qui aboutit à cette porte de l'Est, silencieuse
et de mauvais augure, on trouve, en descendant un peu au sud un point d'où
le mur se voit de loin à découvert ; les maisons en ruines qui y conduisent
semblent disposées pour abriter les tirailleurs qui feraient bientôt taire le feu
des créneaux, et les constructions établies jusqu'au pied des remparts
favoriseraient l'accès de la brèche.
Campenon.
Cependant, les négociations se poursuivaient, mais rien ne pouvait
en faire présager l'issue ; le 26 septembre, le p.291 baron Gros
m'écrivait en m'envoyant copie de sa réponse au prince Kong à sa
lettre sus-relatée :
Monsieur le général, j'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint copie de la
dépêche que j'ai adressée hier au prince Kong pour répondre à la dernière
communication qu'il m'a faite, et dont je vous ai déjà donné connaissance. La
réponse que lord Elgin a écrite à ce même commissaire impérial est identique
à la mienne, quant au fond du moins.
Il n'y a de changé dans la position actuelle qu'un temps d'arrêt volontaire,
qui suspend de fait, mais non de droit, les opérations militaires en voie
d'exécution, ce qui donne le temps aux armées alliées de recevoir les
approvisionnements de toute espèce dont elles peuvent avoir besoin, et le
droit d'hiverner à Tien-Tsin, si le gouvernement chinois, cédant sur tous les
points, les commandants en chef jugeaient convenable de prendre cette
mesure à l'expiration des deux mois pendant lesquels nous devons garder
cette ville comme gage, pour assurer le versement du million de taels que le
gouvernement chinois doit nous payer dans ces deux mois.
Le délai accordé au gouvernement chinois pour qu'il puisse répondre à la
note d'hier 25 devant se prolonger pendant les trois jours qui suivent la date
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
335
de notre dépêche, comprendra le 26, le 27 et le 28 de ce mois ; une réponse
devra donc nous être faite dans la journée du 29 et c'est à partir du
lendemain, 30 de ce mois, que les commandants en chef pourront prendre,
quand bon leur semblera et en raison des moyens dont ils disposent et des
plans qu'ils auront arrêtés d'un commun accord, telles mesures qui leur
paraîtront nécessaires pour frapper un coup décisif sur Pékin, pour s'y établir
s'ils le jugent utile, ou pour aller hiverner ensuite à Tien-Tsin, s'ils le croient
convenable à la sûreté et au bien-être de leurs troupes. Cette éventualité
suppose un refus de la part du gouvernement chinois et la nécessité dans
laquelle il nous placerait de lui infliger une leçon sévère.
Si au contraire, le gouvernement chinois cédait sur tous les points, les
armées alliées resteraient momentanément dans leurs campements actuels ou
dans les environs, si elles pouvaient s'y mieux établir, mais sans aller en
avant ; les ambassadeurs se rendraient à Toung-tchéou et à Pékin avec
l'escorte convenue, et, lorsque tout serait terminé dans cette ville, l'armée
pourrait se retirer à Tien-Tsin pour y prendre ses quartiers d'hiver, y rester
jusqu'au printemps, ou se rendre dans le Chang-tong à l'expiration des deux
mois accordés pour le paiement du million de taels, et cela en raison des
circonstances qui détermineraient les commandants en chef à p.292 tirer le
meilleur parti possible des choses, au moment où ils auraient à agir pour
sauvegarder les intérêts qui leur sont confiés.
Dès qu'une réponse me sera parvenue j'aurai l'honneur de la porter à votre
connaissance ; ma dépêche et celle de lord Elgin ont été remises ce matin à 8
heures au tao-taï de Toung-tchéou qui les a immédiatement expédiées à
Pékin.
Baron Gros.
Cette dépêche de notre ambassadeur me prouvait, une fois de plus,
sa confiance dans une solution pacifique, tandis qu'il me paraissait bien
démontré que l'impossibilité dans laquelle se trouvait le gouvernement
chinois de nous restituer nos malheureux compatriotes amènerait de
nouvelles complications.
Les ambassadeurs se plaisaient à considérer comme réalisables,
sous peu de jours, les désirs qu'ils avaient de voir l'action diplomatique
triompher de tous les obstacles. Je ne partageais nullement ces
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
336
illusions, comme on a pu le voir par les dispositions que je prenais pour
marcher militairement sur Pékin, où je pensais que la paix pourrait
seulement avoir lieu par la crainte de voir la capitale livrée au pillage et
la dynastie expulsée.
La réponse du prince Kong ne se fit pas attendre, et le baron Gros
me la fit parvenir immédiatement ; elle était datée du 27 et conçue en
ces termes :
Le 27 septembre 1860.
Moi, prince Kong, membre de la famille impériale et haut commissaire,
j'adresse cette dépêche à Votre Excellence pour répondre à celle qu'elle m'a
écrite et dont j'ai parfaitement saisi le sens.
Si, précédemment, les affaires ont été mal conduites, je ne puis être
responsable, car je n'avais pas à m'en mêler.
Votre Excellence me dit, dans sa dépêche, que la dynastie court quelques
périls ; il eût été convenable de ne pas me tenir un pareil langage.
Votre Excellence fixe un délai de trois jours pour recevoir ma réponse ; mais
pourquoi les troupes de votre Noble Empire s'avancent-elles en colonnes ? Ce
n'est pas là le moyen de p.293 rétablir la paix et, au moment de la conclure, ne
serait-il pas déplorable de vous voir rompre toutes les négociations ?
Si vos troupes veulent réellement attaquer la capitale, nos soldats, qui sont
dans la ville avec leurs familles, se défendront jusqu'à la mort, et cette guerre
ne pourra pas être comparée aux précédentes. Nous avons aussi hors de la
ville, des milices nombreuses et redoutables, et quand vous attaquerez la ville
non seulement vos nationaux seront sacrifiés, mais votre armée coupée dans
sa retraite ne pourra l'effectuer peut-être que difficilement.
Quant aux individus de votre Noble Empire qui sont détenus dans Pékin, ils
ont été arrêtés par les commissaires précédents qui ont mal conduit les
affaires ; mais j'ai reçu de l'Empereur, toute l'autorisation nécessaire pour
traiter cette question, et ces individus n'ont pas été mis à mort. Nous ne
pouvons les rendre en ce moment, et, lorsque la convention aura été signée et
les ratifications du traité échangées, ils seront certainement mis en liberté ; et
alors votre Noble Empire verra, par mes actes, que je suis un homme dans
lequel on peut avoir toujours une pleine et entière confiance.
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
337
Après la lecture de cette pièce, le doute ne me paraissait plus
possible ; la remise des prisonniers ne pouvait pas avoir lieu, et le
prince Kong acceptait la solidarité de l'acte odieux commis sur nos
parlementaires car il ne pouvait ignorer, en ce moment, que plusieurs
d'entre eux avaient été massacrés par les Chinois, après avoir subi de
cruelles tortures, pires que la mort !
Le baron Gros me paraissait avoir reçu de cette dépêche la même
impression défavorable qu'elle m'avait produite mais les ambassadeurs,
dans l'intérêt des prisonniers, pensaient qu'il ne fallait pas rompre les
relations. Je n'étais pas du même avis, et le général Grant craignait,
comme moi, que toutes les lenteurs diplomatiques ne cachassent, de la
part du gouvernement chinois, une nouvelle ruse pour gagner du temps
ou pour permettre à l'empereur de se retirer, avec ses trésors, dans la
Mongolie.
J'avais fait proposer aux ambassadeurs et aux généraux en chef de
se réunir pour une conférence qui me paraissait nécessitée par l'état
des choses ; mais cette proposition ne fut pas accueillie chaudement
par nos diplomates ; elle eut cependant lieu plus tard, le 30, après un
nouvel p.294 échange de dépêches, des 28 et 29. Voici-celle du baron
Gros au prince Kong :
Pa-li-kiao, 28 septembre 1860.
Le soussigné a reçu pendant la nuit la dépêche que S. A. I. le prince Kong
lui a fait l'honneur de lui écrire hier, etc. ; sans entrer dans des discussions
désormais inutiles, il veut lui répondre en peu de mots.
Son Altesse Impériale déclare au soussigné que, frère puîné de S. M.
l'Empereur, il a toujours été de bonne foi, qu'il n'a jamais trompé ni le ciel ni
les hommes, et que, par conséquent, le soussigné peut lui faire connaître sa
pensée tout entière.
Ces paroles sont bonnes et le soussigné les accepte dans l'espoir que Son
Altesse Impériale, comme elle le dit elle-même, prouvera par ses actes qu'on
peut avoir en elle une entière confiance.
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Souvenirs du général Cousin de Montauban
338
Le soussigné déclare donc à Son Altesse Impériale qu'il ne veut rien
demander au gouvernement chinois qui ne soit convenu dans les conventions
préparées à Tien-Tsin ou stipulé dans le traité de 1858, sauf seulement la
faculté pour les troupes françaises d'hiverner à Tien-Tsin, s'il le faut, puisque
c'est la faute du gouvernement chinois si, par sa déloyauté, il a causé des
retards qui rendront peut-être difficile le départ de l'armée avant l'hiver.
Si, après cette déclaration, Son Altesse Impériale veut signer le plus tôt
possible avec le soussigné la convention de paix dont il est question, après
avoir mis en liberté, avant le délai fixé, c'est-à-dire dans la journée du 29 de
ce mois, les sujets français et anglais arrêtés contre le droit des gens, aucune
menace ne sera faite contre la capitale de l'empire ; les troupes françaises
resteront campées où elles se trouveront ; le soussigné se rendra avec une
escorte à Pékin pour y procéder à l'échange des ratifications du traité de 1858,
et, cette formalité accomplie, les troupes se dirigeront vers Tien-Tsin.
Quant aux reconnaissances que les troupes ont faites vers Pékin, elles
n'ont rien que de parfaitement loyal. Son Altesse Impériale sait du reste que
les hostilités n'ont pas été suspendues depuis la prise des forts de Ta-kou,
qu'elles ne peuvent l'être que lorsque la paix aura été signée, et que ce n'est
que par bienveillance pour le gouvernement chinois et pour ne pas le perdre,
malgré sa conduite peu loyale envers nous, que la capitale n'a pas été
menacée jusqu'ici.
Le soussigné attend, dans le délai fixé, c'est-à-dire dans la journée de
demain, une réponse à cette importante communication ; il la fera connaître
immédiatement au commandant en p.295 chef des troupes françaises qui agira
en raison de ce qu'elle pourra contenir.
La paix est donc entre les mains de Son Altesse Impériale. Le soussigné
espère qu'il ne la laissera pas s'échapper.
Baron Gros.
La réponse à la lettre ci dessus ne se fit pas attendre, et le prince
Kong l'ayant reçue le 29, répondait le soir même ce qui suit :
Le 29 septembre 1860.
Kong, etc.. prince de la famille impériale et haut commissaire, etc. fait la
communication suivante :
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Souvenirs du général Cousin de Montauban
339
J'ai reçu le 29 septembre, à midi, la dépêche de Votre Excellence et j'en ai
parfaitement saisi le sens, notamment lorsque Votre Excellence assure qu'elle
n'ajoutera aucun article aux huit clauses convenues à Tien-Tsin ni à celles du
traité signé il y a deux ans. Votre Excellence demande ensuite que nous
signions et que nous scellions les huit articles déjà convenus.
Les troupes de votre Noble Empire sont si près de la capitale que nous
éprouvons quelques craintes l'un et l'autre, et qu'il nous est difficile de signer
une convention de paix ; je demande donc à Votre Excellence de faire retirer
vos troupes jusqu'à Tchang-kia-ouan et, dans un délai de trois jours, je ferai
transcrire clairement les articles de la convention, j'enverrai un délégué porter
cette copie dans un lieu intermédiaire entre Toung-tchéou et Tchang-kia-ouan
et dès qu'elle sera signée, nous conviendrons d'une seconde entrevue pour
consolider et perpétuer la paix.
Quant aux personnes détenues précédemment, elles n'ont pas été insultées
et sont traitées avec bienveillance, et, dès que vos troupes se seront retirées
et que le traité aura été signé, elles seront reconduites auprès de vous.
Pour moi, je vous ai fait connaître franchement, dans ma dernière dépêche,
quel homme j'étais. Je ne trompe personne et je ne manquerai jamais à ma
parole. Que Votre Excellence ait donc confiance en moi et ne conserve aucun
sentiment de défiance.
Cette dernière lettre du prince Kong confirmait évidemment le désir
que le gouvernement chinois avait de signer la paix avant la remise des
prisonniers, parce qu'il craignait que, si nous avions connaissance des
cruautés p.296 exercées sur ces malheureux, nous voulussions imposer
des conditions plus sévères.
L'un des buts que je m'étais proposés en envoyant une grande
reconnaissance vers Pékin était atteint : la crainte que témoignait le
prince Kong de voir des troupes si près de la capitale le prouvait
suffisamment.
Il devenait de toute nécessité de prendre un parti en présence du
refus du commissaire impérial d'accéder à nos propositions, et la
conférence, pour laquelle j'avais demandé réunion des ambassadeurs et
des généraux en chef, fut fixée au lendemain, 30 septembre. Tous les
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
340
intéressés étant réunis, je pris la parole et j'exposai la situation de
l'armée.
Nos troupes étaient bien repesées, pleines d'ardeur et d'une
confiance extrême vis-à-vis d'un ennemi vaincu chaque fois qu'il avait
osé se présenter au combat, bien qu'en nombre dix fois supérieur. La
ville de Toung-tchéou venait de nous fournir, contre argent, un
approvisionnement de 300 bœufs ; d'autres vivres et des munitions de
guerre devaient nous arriver de Tien-Tsin sous un ou deux jours.
J'avais fait confectionner des vêtements en peau de mouton pour
l'approche des froids ; rien ne devait donc nous retenir à Pa-li-kiao dès
que le convoi de Tien-Tsin serait arrivé. J'ajoutai que je considérais la
correspondance diplomatique du prince Kong comme une nouvelle ruse
destinée à donner le temps au général San-ko-li-tsin, partisan de la
guerre à outrance, de réunir de nouvelles et de plus nombreuses forces
devant Pékin.
Enfin, j'établissais deux hypothèses : l'une par laquelle l'armée
tartare, voulant tenter un dernier coup de dés, chercherait à s'opposer
à notre marche sur Pékin ; la seconde que notre marche n'étant
entravée par aucun obstacle, nous arriverions sans coup férir devant
les murs mêmes de la ville. Le premier cas me semblait le plus
favorable, car, l'armée chinoise battue, il me paraissait impossible
qu'une victoire remportée aussi près de Pékin ne fût pas suivie de
l'acceptation immédiate de nos conditions. Le second cas présentait des
difficultés sérieuses, car il était à craindre que le siège d'une ville
entourée de murs de dix-sept mètres d'épaisseur ne traînât en
longueur, surtout avec un manque absolu de pièces de siège. Or, la
saison des froids rigoureux approchait, et tous les renseignements que
p.297 j'avais pris ne m'auraient pas permis de rester devant la ville audelà du 1er novembre. Une retraite sur Tien-Tsin eût été d'un effet
moral très fâcheux, et le gouvernement chinois n'aurait pas manqué de
lui attribuer des causes entièrement à son avantage.
Je concluai donc en demandant l'interruption des relations
diplomatiques et la remise des pouvoirs entre les mains des
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
341
commandants en chef, afin de pouvoir continuer les opérations
militaires sans perte de temps.
Les membres composant la conférence, le baron Gros, lord Elgin, le
général en chef anglais, sir Hope Grant, le colonel Fowley, commissaire
anglais, et le colonel Reboul, commissaire français, adoptèrent mon
avis, et, après quelques observations judicieuses du général Grant sur
des mesures militaires à prendre pour arriver au but que nous nous
proposions, les ambassadeurs furent invités à faire connaître au prince
Kong les dispositions arrêtées dans la conférence. Voici dans quels
termes le baron Gros s'acquitta de ce message :
Pa-li-kiao, 30 septembre 1860.
Le soussigné, etc., a reçu ce matin à huit heures la dépêche que S. A. I. le
prince Kong lui a fait l'honneur de lui écrire hier, pour lui adresser des propositions
inacceptables au lieu de profiter simplement, en cédant aux demandes modérées
et raisonnables du soussigné, de la meilleure occasion qui lui ait été offerte,
jusqu'à présent, de conclure promptement une paix honorable.
Son Altesse Impériale a été clairement prévenue, par la dernière dépêche
du soussigné, que si, dans la journée du 30 de ce mois les officiers français et
anglais détenus contre le droit des gens dans Pékin, n'étaient pas rentrés dans
leurs camps respectifs, les commandants en chef des troupes alliées auraient à
agir suivant les circonstances.
Les détenus français et anglais n'ayant pas été mis en liberté, les
commandants en chef ont été informés de ce fait, et ils prendront, dès qu'ils le
jugeront convenable, toutes les mesures qui leur paraîtront nécessaires pour
exiger, par force, du gouvernement chinois, ce que, malgré notre bonne volonté
et notre condescendance pour lui, il a été impossible d'obtenir à l'amiable.
p.298 Le 1er octobre je recevais du baron Gros la lettre suivante :
Pa-li-kiao, 1er octobre 1860.
Monsieur le général, j'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint une traduction
de la réponse que j'attendais du prince Kong et une copie de la lettre que j'ai
dû lui écrire hier. Vous verrez, par ces deux documents, que le gouvernement
L'expédition de Chine de 1860
Souvenirs du général Cousin de Montauban
342
chinois nous oblige de nouveau à recourir aux mesures coercitives et que c'est
aux commandants en chef des forces alliées à agir selon les circonstances et
conformément au plan arrêté au quartier général français, dans la conférence
qui a eu lieu entre les deux ambassadeurs et les deux généraux en chef.
Si, au dernier moment, le prince, mieux inspiré, nous envoyait par les
détenus français et anglais qui se trouvent entre ses mains, l'acceptation pure
et simple de nos propositions, j'aurais l'honneur de vous en faire part
immédiatement ; mais je ne conserve, je l'avoue, aucun espoir à ce sujet.
Baron Gros.
Voici la traduction dont il est question dans la lettre que m'écrivait
notre ambassadeur :
Kong, prince de la famille impériale et haut commissaire, fait la
communication suivante :
Cette dépêche est écrite pour répondre à celle que j'ai reçue de Votre
Excellence ce matin à huit heures, et dont j'ai parfaitement compris le
contenu.
Quant à la mise en liberté de vos compatriotes, je vous ai déjà dit que la
paix n'étant pas encore signée, ce ne serait pas avoir pour eux toute la
considération qu'ils méritent que de vous les renvoyer tout de suite. Pour ce
qui est du traité conclu il y a deux ans et à la convention négociée à Tien-Tsin,
j'y ai donné mon approbation la plus complète, et je ne comprends pas que
vous puissiez dire que je me refuse à accéder à vos demandes. Il est probable
que Votre Excellence n'aura pas lu bien attentivement les dernières dépêches
que je lui ai adressées ou que les interprètes de Votre Excellence ne les auront
pas traduites exactement.
Si votre Noble Empire emploie la force des armes pour nous contraindre à
céder, non seulement nous aurons à regretter une paix déjà conclue, mais je
craindrais que vos nationaux, en ce moment dans la capitale, ne puissent être
suffisamment protégés.
Cependant, comme le consul anglais Parkes est connu depuis p.299
longtemps par son habileté à parler et à écrire le chinois, je vais nommer un
délégué pour s'entendre avec lui, afin qu'ils règlent ensemble tout ce qui sera
relatif à une entrevue avec les deux représentants de la France et de
l'Angleterre et à la signature de la convention